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De la relativité de ce que nous percevons

D septembre 1999     H 15:46     A Judge Fredd    


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L’être humain est par nature imparfait et subjectif. Malgré cela, il doit agir, juger, prendre des décisions. Cela vaut pour toutes les activités humaines, musique comprise. D’où deux impératifs : avoir de quoi étayer ses jugements, jauger ses impressions, et, dans le même temps, ne jamais oublier le caractère subjectif, relatif, desdits jugement et impressions.

Expérience vécue : vous jouez dans un groupe depuis plusieurs années, tout le monde semble sur la même longueur d’onde, vous discutez souvent de votre musique, de votre son, de ce qui plaît et déplaît à chacun. Un jour, vous vous payez un émetteur, et vous commencez à vous balader sur la scène. Vous faites un tour du côté du bassiste, et là vous entendez vraiment beaucoup de basses et de pied avec une toute petite guitare qui surfe par là-dessus. En rendant ensuite visite à votre batteur, vous êtes pris dans un maelstrom de coups sourds, d’attaques cinglantes, doublés d’une symphonie métallique, dans laquelle tente de surnager un mix approximatif délivré par les retours où pied, basse et voix dominent nettement. Côté chanteur, la voix prédomine, et c’est somme tout assez logique car c’est aussi l’instrument le plus fragile, tandis que le clavier baigne parmi ses nappes. Rendons justice à ces derniers, qui sont en général assez raisonnables. Je vous ferai grâce de la description de ce que l’on entend dans les retours d’un guitariste, car c’est une magma que vous connaissez aussi bien que moi, et je ne suis ni sadique ni masochiste.

Tout cela donne à réfléchir : les membres d’un groupe, aussi soudé soit-il, font-ils réellement la même musique ? Quels sont le rôle et l’influence de l’instrument pratiqué, et de la place occupée sur la scène ?

Rammstein sur scène - source rammstein.de
Rammstein sur scène (source rammstein.de)

La réponse à la première question tient dans l’enregistrement. Il est normal que sur scène chacun cherche à s’entendre au mieux à bénéficier de conditions d’écoute qu’il trouve confortables, et ce, quelles qu’elles soient. L’important après tout, demeure que le public, lui, reçoive un mix optimum. Attention quand même à ne pas prendre de mauvaises habitudes : jouer trop fort, ce qui revient souvent à s’isoler, ou bien s’habituer à trop de confort. La meilleure solution, de ce point de vue, étant d’entendre les autres en son "naturel" de manière à pouvoir s’en passer dans les retours, et à réserver ces derniers à ce qui est vraiment indispensable.

Mais revenons à nos moutons : le seul moyen d’avoir une discussion, la plus objective possible, sur votre musique est l’enregistrement. S’il est d’un minimum de qualité, il vous permettra de vous concentrer sur l’écoute, ce qui est déjà nettement plus difficile lorsqu’on joue, et d’entendre à peu près tous la même chose. Je dis "à peu près" tant il vrai qu’il nous est impossible de nous mettre dans la tête de quelqu’un d’autre pour s’assurer qu’il entend bien la même chose que nous. Cela permet en outre d’appréhender le côté global de votre musique, et vous amènera à privilégier le résultat d’ensemble par rapport au rendu propre de votre instrument. D’une certaine manière vous jouerez moins "personnel" et vous vous rendrez vite compte qu’il peut être intéressant de jouer avec un son bizarre, voire désagréable tout seul, si cela sert le tout. En effet, il est parfois plus important de trouver sa place dans le mix, de jouer un rôle complémentaire du point de vue sonore, plutôt que d’avoir un son extraordinaire, flatteur tout seul, mais qui, une fois dans le mix, peut disparaître ou entrer en concurrence avec celui d’un autre instrument, et finalement desservir votre musique, ce qui n’est certainement pas le but que vous poursuivez. L’enregistrement et l’écoute collective permettent de résoudre les problèmes d’égo mal placé. Ils donnent l’occasion d’évaluer la pertinence de tel ou tel choix musical, le bien-fondé de telle ou telle critique, et les éventuels déséquilibres dans le mix.

La réponse à la deuxième question est beaucoup plus difficile à cerner. Je partirai donc encore une fois d’une expérience vécue. Jouant un peu de clavier, je me suis parfois retrouvé sur scène à la guitare pour certains morceaux, aux claviers pour d’autres. J’ai pu alors constater combien les choses, son, attitude corporelle, perception de l’environnement, sont tout à fait différentes suivant ce que l’on fait. On a beau être sur la même scène, le même soir, avec les mêmes personnes, on se sent, on agit et surtout on perçoit le son différemment suivant l’instrument sur lequel on joue. Quand on a ressenti cela moins une fois, on sait d’expérience qu’il est impossible d’avoir un jugement "objectif" dans le temps même où l’on joue, sauf exceptions. Tout simplement parce que la perception des sons ne peut être la même pour un batteur assis dos au mur et entouré de ses cymbales, pour un guitariste ou un bassiste qui baignent dans leurs sons propres, ou pour un harmoniciste dont une partie du son résonne dans la boîte crânienne. De même, la guitare est un instrument qu’on porte, avec lequel on fait corps, avec lequel on se déplace, tandis que le clavier est un instrument fixe, derrière lequel on se place, derrière lequel on reste fixé, un peu comme un officiant. C’est à peu près aussi différent du point de vue des perceptions que de rouler en moto et en voiture. Là encore, le moyen le plus objectif qui s’offre à un groupe pour juger de sa musique est l’enregistrement avec écoute individuelle et collective.

Pour le guitariste, qui, plus que tout autre instrumentiste est en général un maniaque du son (mais cela reste valable quel que soit l’instrument que vous pratiquiez), il est indispensable d’appréhender le son, la musique, dans sa globalité de manière à ensuite, préciser la part individuelle qu’il y prend. De ce point de vue, la démocratisation des moyens d’enregistrement numériques et l’apparition de logiciels audio de haute tenue peut être considérée comme une chance, comme d’extraordinaires outils d’auto-évaluation autant que de création.

 

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G&C 210

 

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