Cassons tout de suite les illusions avant d’entrer dans le rêve : la Roswell coûte cher, et il n’y en aura pas pour tous les riches, car sa production se limite à 200 exemplaires dans le monde entier (la nôtre porte le n°028), dont six seulement pour la France. On comprend dès lors que l’excellent Marty Friedman qui a craqué et sur le look et sur le son de ce petit bijou, se soit précipité pour acquérir la sienne. Restaient donc 199 pièces avant même la commercialisation effective du modèle. La Roswell c’est un peu comme une Ferrari F50, beaucoup d’appelés peu d’élus ; espérons que la plupart de ces guitares ne finissent pas dans des coffres et des vitrines de collectionneurs car nous le verrons, au-delà de l’exercice de style, il y a un authentique instrument, jouable et jouissif.
Genèse et conception
Ce que vous avez sous les yeux est principalement l’oeuvre de Charles Perrino, guitariste pro reconverti dans le design et la lutherie, que Jackson a eu l’excellente idée d’embaucher. Voilà notre homme en train de plancher sur le projet d’une Randy Rhoads aux formes plus douces, plus rondes, quand le téléphone sonne. Au bout du fil, une société californienne de composants aéronautiques, qui, allez savoir pourquoi, aimerait s’investir dans la fabrication d’un modèle de guitare. Malgré le côté un peu inhabituel de la demande, Charles Perrino accepte car il sent que la coïncidence entre le début de ses études sur la Rhoads adoucie et cet appel n’est probablement pas si fortuite. Quand le destin frappe à la porte, comme on dit... L’idée fait son chemin : pourquoi ne pas réaliser la guitare en aluminium ? Et puis on l’appellerait Roswell et puis les repères de touches seraient...et puis... et puis voilà que notre bon M.Perrino se rendit compte qu’au fur et à mesure il avait accouché d’un concept global et cohérent qui devait donner après bien des obstacles et des difficultés, la merveille que vous êtes en train d’admirer.
Charles Perrino guitariste commence par mettre des bâtons dans les roues à Charles Perrino concepteur en exigeant un manche en bois (en érable coupé sur quartier même que), car il sait comme nous tous, que les manches alu présentent un confort de jeu très relatif. Oui mais voilà, le corps et la crosse de la Roswell sont fabriqués dans un alliage d’aluminium employé habituellement pour la fabrication d’avions de type 6061-T6, les connaisseursapprécieront. Si la jonction corps/manche en quatre points, à hauteur de la dix-septième case, est somme toute assez classique, il n’en va pas de même côté crosse. Les Jackson boys ont donc tourné la difficulté en dotant le manche proprement dit d’un prolongement de deux pouces de long (50 mm) après le sillet, s’emmanchant dans la crosse. Cette extension est en angle, la crosse adopte par conséquent le type tilt-back. La touche en ébène se voit sertie de frettes médiums, entourée d’un binding noir et dotée de repères nacrés reproduisant les fameuses traces soit-disant laissées par des vaisseaux extra-terrestres dans la campagne anglaise. Le fait qu’on sache depuis longtemps que ces traces étaient en fait l’oeuvre de deux paysans à l’esprit potache n’y change rien : c’est superbe et superbement réalisé.
Revenons sur le corps du délit, déclinaison spatiale totalement réussie de la Rhoads originelle. Il faut vraiment l’avoir sous les yeux pour goûter toute la subtilité de son design. Je dois d’ailleurs dire que tous ceux et mieux, toutes celles qui l’ont vue durant les essais aux studios Eurêka en sont tombés amoureux. Sa surface bombée et striée est aussi douce au toucher qu’agréable à l’oeil, sa tranche lisse comme un miroir venant lui faire contraste. A l’arrière, deux énormes plaques alu confirment ce que nous soupçonnions tous : la Roswell est probablement au trois quarts creuse, tant pour des raisons de confort (poids) que pour renforcer son originalité sonore. L’épaisseur du corps varie, puisqu’il s’amincit très régulièrement du centre vers les ailes. De plus, sur les ailes cela se double d’un amincissement du haut vers le bas. Autant dire que la corne supérieure, dans laquelle se loge la prise jack, atteint une finesse qui lui serait fatale si elle était en bois. Cela renforce sa longueur déjà impressionnante, et là encore, il faut le voir pour s’en faire une idée, les photos si belles soient-elles étant impropres à rendre l’effet d’ensemble. La crosse reprend en gros la forme du corps ; on y retrouve donc une pointe supérieure qui peut faire mal à la main gauche lors de retours précipités vers les premières cases. Vous l’aurez compris, à l’instar de Jacques Pradel, je suis troublé par cette créature venue des étoiles.
High Tech
Une guitare aussi exclusive que la Roswell ne pouvait recevoir qu’un équipement exceptionnel. Rien de tel pourtant, côté sillet et chevalet, tous deux très classiques, de même que les attaches de bandoulière à Shaller à blocage, dont l’une se trouve sous la pointe supérieure du corps et l’autre sur l’un des quatre points de fixation de la jonction corps/manche. La visserie est déjà plus inhabituelle, constituée exclusivement de vis Allen, ce qui accentue encore le côté high tech de l’instrument. Les mécaniques LSR, petites merveilles technologiques vont dans le même sens. Au centre de la chaque mécanique se trouve une "âme" qui apparaît lorsqu’on tourne la mécanique dans le sens des aiguilles d’une montre, en détendant la corde quoi. Mais ce n’est pas tout puisqu’il comporte également un système de blocage qui se désengage en continuant de tourner la mécanique après avoir entendu un petit clic. On peut alors retirer la corde qui y était engagée. On passe le nouvelle corde dans le chas, on la tend manuellement, on tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, en poussant sur l’âme, le système de blocage se réengage (nouveau clic), on plie l’excédent de corde, et l’âme commence à se rétracter à l’intérieur de la mécanique. Il ne reste qu’à couper l’excédent et persévérer jusqu’à ce que la corde soit accordée. Ces mécaniques sont simples d’emploi, précises comme des fine tuners et tiennent parfaitement l’accord. Notons au passage que la Roswell est à ma connaissance la seule guitare à les proposer montées d’origine. Enfin, vous aurez noté bien sûr l’absence de cordier, les cordes s’ancrant directement dans les six orifices prévus à cet effet sur le corps et le magnifique bouton de potar en forme de soucoupe volante. Si c’est pas du concept, ça...
Essais en vol
Lors du premier essai, en chambre, non branché, j’ai constaté que, comme la Rhoads, la Roswell est difficilement jouable enposition assise : le bas du corps glisse sur la jambe et si vous essayez de placer votre cuisse dans l’arc de cercle derrière le chevalet (position guitare classique), le manche vient se poser sur votre jambe gauche, vous autorisant à jouer seulement sur les douze premières cases. Bandoulière et position debout obligatoires donc, et fainéants s’abstenir. La guitare est très équilibrée, le manche est assez haut même quand le corps est bas. L’action est agréable, le manche assez large et plat de dos, s’avère confortable. La guitare extrêmement facile à jouer, fait remarquable puisqu’elle est montée d’origine avec des D’Addario 10-52 voire 11-52 qui mettent en valeur ses qualités sonores. La Roswell est naturellement puissante, sonne profond et riche en harmoniques. Les vibrations se diffusent bien à travers l’instrument, le sustain naturel est important. Encore fallait-il retranscrire électriquement ces indéniables qualités. Or, nous l’avons vu, Charles Perrino est doué ; mais en plus, il a une veine de... euh, jugez plutôt : à la recherche d’un micro pour sa créature, il opte pour un Tom Holmes H445, au seul motif qu’il aime bien son capot en nickel brossé esthétiquement en phase avec l’aluminium de la Roswell. Tom Holmes, c’est un gars de Joelton, Tennessee, qui après avoir, entre autres, été le luthier de Bo Diddley (mais si les guitares rectangulaires), a installé chez lui, dans sa maison, une petite usine de micros. Et là où Perrino est un petit verni, c’est que de l’avis de beaucoup les Tom Holmes sont probablement les meilleurs micros du moment. Quoiqu’il en soit la Roswell sonne vraiment bien, avec un son plein, puissant, bien équilibré entre graves et aigus, relativement creusé fidèle à l’esprit Jackson tout compte fait. Le H445 allie saturation et précision dans les attaques, le sustain est excellent, les vibrations se propagent dans tout l’instrument, les larsens prennent sans aucun problème. De plus, le micro est très bien servi par son volume très progressif. Sur un Marshall en son saturé, volume de la guitare entre 0 et 4 (10 = à donf’), on obtient de très beaux sons clairs, de 4 à 7 la guitare crunche plus ou moins suivant l’attaque de la main droite, de 7 à 9 on sature franchement, le volume nous gratifiant d’un surcroît de saturax quand on pousse à fond. A très fort volume, la guitare accroche un peu lorsqu’on se tourne vers l’ampli, mais tout rentre dans l’ordre dès lors qu’on tourne le dos à l’ampli.
Emmenez-moi !
La Roswell est une totale et on a vite fait de se laisser prendre à son charme venu d’ailleurs. Cet incroyable instrument, qui était déjà une bête de salon, ne tardera pas, s’il tombe entre de bonnes mains, à devenir une bête de scène. Malheureusement le voyage a un prix.