Rory Gallagher n’a jamais trop évoqué autre chose qu’un énième bluesman blanc, un énième Stevie Ray Vaughan, Johnny Winter, John Mayall etc... Il m’évoquait aussi ce modèle de Strat Fender au vernis ruiné qui coûte 2 mois de salaire. Puis, un jour, aidé ou poussé, comme pour bien des choses, par les distractions du net, je me suis laissé tenter par un disque, un best of, histoire de ne pas prendre de risque. Écouté, oublié. Sans doute déçu. Moi, l’obsédé des harmoniques progressives et Pink Floydiennes d’alors. Déçu par ce petit bonhomme rugueux, simple et (trop) humble, à la voix d’éternel adolescent ne délivrant rien d’autre que des ’chansonnettes à 3 accords’, en formation de base drums-orgue-basse-guitare. J’avais passé l’age des Doors, Jefferson Airplane et autres Santana... À la rigueur, je regrettai immédiatement de ne pas avoir connu cet artiste au temps d’alors. Maintenant que je naviguais dans les eaux des expérimentateurs britanniques et américains, quelle place pouvait avoir Rory Gallagher dans mon univers régi par les Peter Gabriel, Brian Eno et consorts ?
La vraie faillite, celle où l’on voit s’écrouler tout ce qu’on a construit, quand la force, le travail et a sueur ne font plus le poids face à la méchante crise. Quand on n’entend plus rien qu’une pendule dont on redoute les derniers coups, qu’on se retrouve à la rue, qu’on se sent con et vulnérable. Quand on comprend qu’on a été prétentieux, quand on est con et vulnérable.
Alors, dans les petits moments qu’on sauve avec des amis, quand on a reussi à garder quelques sous pour prendre une bière, il arrive des choses, comme des petits éclats de lumière.
En parlant de Rory Gallagher, j’explique à mon pote ma déception face au "manque d’ambition et au minimalisme du guitariste" et bla bla bla.... Mon ami m’écoute avec tendresse lui déblatérer mes envies de grandeur avec la gentillesse qui le caractérise, me laisse finir, puis, entre deux gorgées de bière : "...Tu n’as jamais observé ses concerts ? Les mecs dans le public ? Ces gars se sont fait chier toute la journée à l’usine, ils sont en bras de chemise, et c’est pour eux qu’il joue. J’aime ce coté du mec qui vient donner du bonheur aux travailleurs."
J’étais en plein dedans, à terre, je bouffais de la merde et j’avais besoin qu’on me maintienne debout, pas qu’on me parle de grandeur et d’empire, juste qu’on me maintienne debout et qu’on m’aide à sourire.
Alors je me suis repenché sur Rory Gallagher, et là j’ai "vu". Il a ce dont se passent bon nombre d’artistes : la générosité. Parce que c’est casse gueule, la générosité, il y a ceux qui ne savent plus ce que c’est et ceux qui se sont fait submerger, il y a Bob Dylan et Gérard Lenormand. Au milieu, on trouve Rory Gallagher, le troubadour du blues, dispensant avec humilité ce qu’il a : de la musique, du gros son et de la sueur. Tel un Léonard Cohen faisant comprendre au spectateur qu’il n’est pas seul, Rory Gallagher ne nous raconte pas de salades : la vie est dure, mais c’est la seule qu’on a.
Aujourd’hui, tout va bien. Demain, on retourne au travail, en attendant, il y a des petits moments de grâce de 1974 qu’on peut se repasser histoire de garder le sourire et de partir à un million de miles.