Outre cet aspect l’intérêt de la chose vient de ce que Fender ne s’est pas contenté de placer n’importe quels doubles sur une Stratocaster. Non, le routage et les sons délivrés prouvent que la firme US a mûrement réfléchi son coup, cherchant à la fois à rassurer ses fans et à séduire sans artifices ni gadgets.
Comme on s’y attend de la part d’une marque légendaire, la guitare bénéficie d’une belle lutherie et d’un étui aussi pratique que classieux. Le sunburst est réussi avec un dégradé vraiment progressif. Le manche, d’une pièce d’érable, répond sans surprise aux canons Stratocaster et ne dépaysera pas les aficionados de la marque. La jonction corps/manche s’effectue à la seizième frette, la fixation, en quatre points. La touche est ici en palissandre, mais il existe aussi une version maple neck. De même le pickguard écaille existe aussi en blanc. Jusqu’ici nous sommes en terrain connu. Moins convenues, les frettes médium jumbo plus plates et larges que le standard Fender et les mécaniques maison à bain d’huile dont l’arrière manque un peu d’élégance, s’avèrent efficaces à l’usage même si elles sont un peu à la peine lorsqu’on violente par trop le vibrato American Standard à couteaux. Les deux guides cordes métalliques, robustes et souverains, affectés aux quatre cordes les plus aiguës sont les bienvenus. Dans le même registre, les deux strap lock Schaller garantiront la Big Apple contre tout décrochage malencontreux. La guitare se montre très confortable à jouer, et on notera juste que la chanterelle est un peu plus dure que les autres cordes lors des tirés.
Un caractère bien trempé
Mais bien sûr, la principale particularité de la Big Apple, ce sont ses deux doubles signés Seymour Duncan : un ’59 en grave et un Pearly Gates Plus en aigu. Ils sont routés de manière assez originale par le sélecteur cinq positions : double aigu, les deux bobinages intérieurs de chaque micro, position intermédiaire entre les deux doubles, bobinage extérieur du double grave splitté et grave en double. Le ’59 surprend dans un premier temps, habitués que nous sommes à l’entendre sur des guitares en acajou avec ou sans table rapportée. Sur cette guitare en aulne, il garde bien sûr son caractère fondamental, mais se "fendérise". Les attaques sont plus claquantes, moins fat que sur de l’acajou. Splitté en simple, cela devient encore plus flagrant et l’on obtient quelque chose de vraiment très Strato. La position intermédiaire n’est pas aussi intéressante qu’on aurait pu le penser. Cela vient peut-être du fort écartement entre les deux micros. La combinaison des deux bobinages intérieurs, n’est pas mal du tout bien qu’attaquant un peu fort les oreilles. Enfin, le Pearly Gates Plus est une vraie totale. Super micro très agréable, larsens et harmoniques à volonté et de beaux médiums modelables à merci. Là encore les attaques semblent devoir leur netteté à l’aulne du corps. Cette guitare, née pour le boogie bien saignant, peut taper aussi bien dans le blues que dans le hard. Ses médiums présents l’empêcheront peut-être de séduire les intégristes inconditionnels du son heavy creusé, mais permettra aux autres de se singulariser tout en restant efficaces. Notons encore que le volume et les deux réglages de tonalité sont suffisamment progressifs pour ajouter à la palette sonore déjà étendue de l’instrument.
La Big Apple est une Stratocaster à la fois authentique par sa lutherie et les sensations qu’elle procure et atypique par les sons tantôt traditionnels, tantôt très modernes, qu’elle délivre. Elle devrait séduire ceux qui rêvaient d’une Strat au son rugueux, d’harmoniques sifflantes conjuguées à un bon vieux bâton d’érable dans la main gauche. Guitare puissante, méchante et douce à la fois on l’aurait juste préférée à 1000F de moins.