C’était à l’automne 78, quelqu’un durant l’été m’avait dit qu’un pote lui avait parlé d’un groupe de hard avec des hollandais qui étaient vraiment bons. Rentré de vacances, je vais donc chez Gibert, j’explique que je cherche des hardeux hollandais qui vivent aux US et ont sorti un 1er album.Le mec se marre et me sors le I que j’aurais de toute façon acheté direct rien que sur la pochette trop classe (au format 33 tours ça avait vraiment d’la gueule).
- Van Halen I
Et je rentre chez moi. A l’époque le Judge venait de prendre son indépendance et vivait dans une mirifique chambre de bonne. Son premier achat avait été une chaîne hifi de bon aloi.
Donc j’arrive, je sors la galette de sa pochette papier et la pose sur la platine en face 1 bien sûr. Je ne rigolais pas avec ça, je tenais à écouter les disques dans l’ordre décidé par l’artiste, au moins pour la première écoute. Et on était moins zappeurs, moins picoreurs en ce temps-là. Je pousse le volume comme il se doit et j’entends... le métro.
Ben oui le métro à pneus de la ligne 6 en 78 faisait ce bruit-là, pis grosses notes de basse, charley, petit gratouillis et le riff énorme avec ce putain d’son et le Dave qui vient se poser par là-dessus. Runnin’ With The Devil restera à vie pour moi, la définition de tout ce que représente Van Halen, le groupe.
Et puis Eruption bien sûr, même sans réaliser vraiment à quel point on est sur un truc de ouf’. A l’époque je jouais surtout du clavier et bon ce genre de truc au piano ou à l’orgue c’était courant, donc j’ai pas réalisé tout de suite. Et ça continuait d’enchaîner les titres plus éclatants les uns que les autres, la reprise de You Really Got Me, Ain’t Talkin’ ’Bout Love, I’m the One (je retourne le disque) Jamie’s Crying, Atomic Punk, Ice Cream Man, On Fire (oui les deux quej’ai pas cités je les aime un peu moins mais juste un peu). Quel album de tuerie ! Quel feu d’artifice et pas qu’à la guitare, quelle patate ! Quel fun ! Sans exagérer je sais, je sens qu’il vient de se passer un truc énorme dans ma tête, les mecs là ont tout chamboulé. Et en plus ça les fait marrer.
Faut bien comprendre qu’en matière de virtuoses guitare, le rock n’avait pas grand-chose à proposer à l’époque. On avait bien sûr de grands guitaristes mais la virtuosité se résumait à Blackmore, Alvin Lee et quelques mecs comme Franck Marino, sinon il fallait chercher du côté du prog et du jazz-rock. Et là tout d’un coup on avait un type qui défonçait tout en un album de big rock comme il disait. Et ce, au sein d’un groupe incroyable, parce que le son de batterie d’Alex, le groove d’Anthony, les choeurs de ouf’ et le chant complètement barré de DLR étaient eux aussi singuliers. Et les compos, cette kyrielle de titres à la fois pêchus, mélodiques, lourds, groovy, c’était juste rafraîchissant. Depuis ce jour, je suis resté un fan inconditionnel, même si j’avoue que j’ai un peu moins suivi l’époque Sammy Hagar.
Mes aventures avec Eddie ne se sont pas arrêtés là. Début 83 (je m’étais mis à la guitare entretemps), je pars au service militaire (j’ai fait que 3 mois plus un mois d’hosto ;-)) et un soir un mec met la radio et... Beat It ! Et là j’me dis "Tiens le gars joue vraiment comme Van Halen." En 83 pas d’internet et en plus on restait bloqué 3 semaines au régiment au début du service. Première permission et un de mes potes me confirme que c’est bien Eddie qui a commis ce solo d’anthologie. Et, on ne le savait pas encore à l’époque, en UNE prise !!!
Mais EVH ça a été aussi une empreinte colossale sur le matos dès le début des 80s, le mec a tout écrasé. Bien sûr, il a bénéficié d’un environnement qui était en pleine effervescence mais il y a largement contribué. Il suffit de penser à Kramer dont les basses à manche métal avaient moins de succès qui s’est retrouvé propulsé en deux ou trois ans en tête de la hype parce qu’ils avaient endorsé VH, intéressé par le tremolo Rockinger qui sera assez vite remplacé par le Floyd Rose. Et comme tout le monde, j’ai acheté une strat, j’ai viré la plaque d’origine et j’ai mis un double, un volume et un vibrato à blocage Khaler (pas génial ce vibrato d’ailleurs, trop mou). Plus tard, en 85/86 je pense, mon amour des Explos étant le plus fort, j’ai acquis une Hamer Blitz avec un Floyd Rose ! Les guitares à Floyd se vendaient comme des p’tits pains en grande partie grâce à Eddie, tout le monde voulait reproduire ses dive bombs et hennissements de cheval.
Mais j’ai vraiment réalisé la popularité immense d’Eddie, lors du NAMM de 91 ou 92 je ne sais plus où Music Man présente son modèle signature. Faut comprendre, moi là-bas je suis comme un gamin, je croise pour la première fois des mecs que je n’ai jusqu’ici vu que sur des pochettes d’albums : Luke, Sheehan, Gambale, Derringer... et les ricains euh, ben pour eux, c’est normal, personne ne se rue sur eux, quelques gars demandent un autographe ou de pouvoir prendre une photo (les selfies n’existent pas à ce moment-là, ni les smartphones, les tablettes et les go pro, je dis ça pour les plus jeunes ;-)). C’est tranquille quoi, le NAMM est beaucoup plus petit qu’aujourd’hui aussi et les stands sont loin d’être aussi monumentaux. Et donc tout d’un coup du bruit, des gens qui appellent "Eddie, Eddie", d’autres qui essaient de suivre malgré deux ou trois gardes du corps et les mecs de Music Man qui en chient pour tenir tout le monde à distance, des gars qui sautent dans les allées adjacentes pour tenter d’apercevoir Van Halen qui vient juste poser deux minutes devant le stand Music Man." En 5 minutes c’est un bordel sans nom et après quelques tofs, tout l’équipage bat en retraite faisant sortir le demi-dieu par une porte dérobée. Ce jour-là, j’ai mesuré l’impact d’EVH sur le monde de la guitare quand même les guitaristes les plus blasés s’excitent comme des adolescentes devant Justin Bieber. Moi qui avait l’habitude, au pays du camembert, de partager mes coups de cœur musicaux avec un nombre limité de personnes, là pour une fois...
En tant que testeur de matos aussi, Van Halen est réapparu pas mal de fois dans ma vie, comme la fois où j’ai failli m’estropier dans un escalier en tombant avec son 5150 combo qui pesait un âne mort (heureusement l’ampli était dans son carton, il ne m’a pas fait trop mal et il n’a subi aucun dommage). Un autre fois, j’ai eu des sueurs froides avec une des premières Wolfgang qu’on m’avait passé en test et comme il n’en existait que très peu à ce moment-là, celle qui circulait en Europe appartenait au maître himself. Et moi, pour la tester bien comme il faut je l’avais emportée en concert. Comment j’ai surchecké si j’avais pas fait la moindre rayure et si j’avais bien viré toute trace organique de mon passage...
Et je dois dire que de tout le matos griffé VH que j’ai essayé, j’ai jamais rien vu de merdique ou même d’à peu près bien. C’était toujours du matériel bien vu, fiable et conçu pour la scène.
Donc voilà, on est orphelins maintenant et ça m’affecte beaucoup plus que ce que je ne l’aurais cru. A cause de cette marque indélébile qu’il a imprimé à notre microcosme, je n’imaginais pas connaître un monde sans un Eddie vivant. Voilà, aujourd’hui j’ai les boules. So long Eddie.