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Paul Reed Smith

D juin 1999     H 20:13     A Judge Fredd    


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Quand je pensais à Paul Reed Smith, que j’avais pourtant souvent croisé lors de divers salons, j’imaginais quelqu’un d’un peu inaccessible. Je m’étais donc préparé à une interview plutôt formelle et voilà que je tombe sur un grand type façon éternel étudiant dégingandé qui sortait à peine d’un boeuf avec ses potes sur le stand Camac. Comme il faisait beau, l’interview s’est déroulée à même le gazon du parc de la Villette, alors asseyez-vous et profitez-en...

Paul Reed Smith

- J’ai lu sur votre site internet que vous avez construit votre première guitare comme un challenge...

Je voulais être luthier, et je connaissais un luthier violon à Washington DC, Joseph Wallow, qui m’a accueilli dans son atelier. J’y ai pris du bois que j’ai apporté à l’école et j’ai demandé à réaliser un projet d’étude indépendant ; ce genre de projet s’il est approuvé par vos profs peut vous faire gagner des UV (unités de valeur) pour décrocher vos diplômes. Mon professeur m’a dit : "Si tu arrives à transformer ce sac de bois en guitare, non seulement cela te vaudra quatre UV mais en plus elle sera notée par le professeur de guitare.

Paul Reed Smith en 1975
En 1975 ©PRS

Et c’est ce qui s’est passé, j’ai fait la guitare, une sorte de Les Paul Junior, le prof de guitare m’a donné un A et elle a même été jouée par Jimmy Thakery des Nighthawks. Ma première guitare avait donc un micro et un cutaway, ma seconde, un double cutaway et un micro, la troisième, un double cutaway et deux micros ; c’est comme ça que j’ai appris, lentement et progressivement, par étapes. C’est un peu comme aller sur la lune, cela ne se fait pas du premier coup, on commence faire un petit tour dans l’espace, puis un grand tour etc. Pendant tout ce temps, j’avais une Les Paul 53 avec un cordier en trapèze qui me servait de référence. Quand je finissais une guitare, je la comparais à cette Les Paul. Et le jour où j’ai fait une guitare meilleure que cette 53, j’ai su que j’étais sur la bonne voie.

- C’est là que vous avez commencé à démarcher les guitaristes connus et les magasins ?

Quand j’ai commencé en 1976, je faisais une guitare par mois, la plupart du temps pour des guitaristes locaux. Si un groupe en tournée passait dans le coin, j’allais voir les roadies, pour montrer mes guitares, eux-mêmes les montraient aux musiciens et, au bout d’un moment, j’ai fini par décrocher des commandes. Le deal était simple : je vous fais une guitare et si vous n’en tombez pas amoureux, je vous rembourse. La plupart me disaient : "Tomber a-mou-reux hein ?" et je répondais : "Oui." Avec cette promesse, j’ai décroché pas mal de commandes. Ces guitaristes, avaient déjà des guitares faites pour eux, et tout allait bien sauf qu’ils voulaient un plus qu’il ne trouvaient pas. Avec ce deal j’ai par exemple décidé Al Di Meola qui voulait une 12 cordes électrique. A la même époque j’ai travaillé pour Carlos Santana et Peter Frampton.

Avec Carlos Santana
Avec Carlos Santana ©PRS

- Lors du test d’une Santana Model j’ai été frappé par sa polyvalence extrême (jazz, blues, thrash). J’ai retrouvé la même chose sur la Mc Carthy, d’où ça vient, des micros ?

Disons qu’il y a beaucoup de guitares ; parmi elles, on trouve ce que j’appelle des instruments de musique. Sur ce genre de guitare, on doit pouvoir jouer n’importe quoi, jazz, blues, rock, hard, thrash, country etc. Parce qu’un instrument de musique doit permettre de s’exprimer sans limite. C’est ce que j’essaye de faire : amener les guitares que je fabrique jusqu’au niveau "instrument de musique" pour que n’importe quel musicien puisse arriver à ce qu’il veut quel que soit le style dans lequel il joue. Le rôle des micros là-dedans... Un micro c’est un peu un égaliseur paramétrique très sensible. Prenons un exemple avec les micros de chant : avec un Neuman U87 on peut enregistrer des voix jazz ou thrash sans problème ce qui ne serait pas forcément le cas avec un Shure SM57, en studio tout du moins. C’est parce que l’U87 a une égalisation convenant à n’importe quel style. C’est un peu la même chose avec nos micros, il faut régler l’égalisation, la couleur, l’attaque, le decay, les basses, les mids et les aigus de manière à ce que le micro puisse s’adapter à tous les styles de musique. Ensuite il y a interaction entre la lutherie, les qualités acoustiques de l’instrument et le micro. C’est la même chose qu’avec les chanteurs : ce n’est pas parce que vous les mettrez devant le même micro que Paul Rodgers et Robert Plant auront la même voix...

- Justement quel est le travail point de vue lutherie ?

Au travail
Dans son atelier... ©PRS

Nous cherchons d’abord à ce que la guitare ait acoustiquement de bonnes basses mais pas trop, des mids agréables et raisonnables, Et des aigus présents mais pas envahissants. Côté micros, même chose, des basses pleines, des mids musicaux et des aigus qui ne soient ni trop faibles ni trop tranchants. C’est en combinant ces deux directions que l’on arrive à la polyvalence dont vous parliez.

- Par curiosité, les micros de la Santana sont-ils vraiment différents de ceux qu’on trouve sur les Mc Carthy par ex.?

Oui, si vous regardez dans la cavité électronique de la Santana vous verrez des composants qui altèrent, amortissent le rendu du micro. C’est pourquoi ces micros sonnent aussi droit. Récemment Carlos a opté pour les Dragons 2 qui équipent la Custom 22 et la CE 22. D’ailleurs il est déjà venu chercher des guitares de "production normale" chez nous et il est parti jouer avec sans aucun réglage ni customisation particulière. C’est ce qu’il recherche car il s’est déjà fait voler des guitares et ne tient pas à être accro à tel ou tel instrument.

- La Santana Model nous permet d’aborder la question du prix des PRS.

Pour la Santana c’est un peu particulier, car elle est faite de bois exotiques. De plus, je reverse des droits à Carlos pour l’utilisation de son nom ; je précise qu’il reverse cet argent à des programmes caritatifs dans la région de Tijuana. Ca ne me dérange pas du tout de parler du prix de mes instruments et je trouve d’ailleurs que c’est un point important. Quand nous sommes arrivés sur le marché américain personne n’avait jamais et je dis bien jamais payé plus de 1000 $ pour une guitare. C’est assez fou si on pense qu’il fallait débourser au moins le double pour acheter une batterie ou un clavier. Mais c’était ancré dans les mentalités : une guitare ne pouvait coûter plus de 1000 $. Quand nous avons construit l’usine et que nous avons étudié nos budgets, il est apparu clairement que si nous voulions faire bien les choses et être attentifs au moindre détail, cela demanderait plus d’équipements et plus de personnes par guitare. Il ne faut pas croire que nous gagnions l’argent à pleine poignées. Quand nous faisons 5% de bénéfice net nous sommes contents. Chez PRS, 120 personnes fabriquent 41 guitares par jour ; au Japon avec le même nombre de personnes vous faites 400 guitares par jour, c’est ça la réalité. La pierre angulaire de PRS a toujours été de faire les choses comme elles devaient l’être, quel qu’en soit le prix. Par exemple nous frettons nos guitares avec les frettes les plus résistantes du marché ce qui fait qu’aucune PRS n’a jamais besoin d’être refrettée. Mais bien sûr cela rend le frettage plus long et plus difficile. Autre exemple, nous collons la touche avec de l’epoxy de manière à ce que même si votre main sue énormément sur le manche, il ne puisse y avoir d’infiltration d’eau. Nous observons des normes très sévères en matière d’humidité des bois de telle sorte que nous évitons pas mal de problèmes comme les frettes qui dépassent de la touche, ou les touches qui se décollent. La peinture que nous utilisons ne craquelle jamais, mais elle coûte plus cher. Pour résumer tout ce qui peut être amélioré l’est sans que le coût ne soit jamais notre première préoccupation et nous pensons que celui qui achète une PRS s’y retrouve sur le long terme.

PRS dans son atelier
...encore et toujours ©PRS

- Je me rappelle d’avoir vu, sur un salon, deux amplis PRS à transistors, un stack et un combo. Que sont-ils devenus ?

En fait c’était un pari avec les fabricants d’amplis à lampes américains, comme quoi, si on on en prenait la peine, un ampli à transistors pouvait sonner aussi bien qu’un ampli à tubes, et j’avais raison. Ce que je n’avais pas prévu, c’était la disparition du Rideau de Fer qui a amené sur le marché des milliers de lampes fabriquées à l’Est, danc pas très chères. C’est dommage, car je crois que c’était une très bonne tentative et qu’ils sonnaient vraiment bien, surtout le stack. De toute façon nous avons toujours essayé pas mal de choses, les guitares acoustiques, maintenant nos modèles Arch Top, des basses, et bon, des fois ça marche des fois non... Je prends des risques et j’en ai toujours pris, je pense que c’est bon pour PRS et si l’on regarde bien, des marques comme Fender ou Gibson l’ont régulièrement fait. Disons que maintenant nous le faisons de manière plus raisonnée. Nous produisons d’abord des "private stock guitars", nous l’avons fait pour les Arch Top, ou pour les basses que nous présenterons en Janvier, et nous les faisons essayer à différents artistes.

- Pour les amplis, avec la vogue actuelle des amplis à modélisation etc. Vous n’êtes pas tenté de réessayer ?

Il ne faut jamais dire jamais...

- Que vous a apporté la collaboration avec une légende telle que Ted Mc Carthy ?

Quand je l’ai rencontré, Ted était un peu oublié. La première fois que je l’ai "interviewé", pendant toute une journée, il était même un peu irrité parce que depuis vingt-cinq ans j’étais le premier à venir le voir et à lui poser des questions sur les colles ou les sortes de vernis qu’il utilisait. Je l’interrogeais sur la façon dont il fabriquait ses guitares alors que la plupart des gens qui l’appelaient soit cherchaient à se procurer une Explorer ou une Flyin’V ou bien l’interrogeaient sur l’histoire de Gibson. Peu de gens l’avaient interrogé sur la fabrication. Je l’ai engagé comme consultant et peu à peu il est devenu une sorte de grand-père pour moi. Par exemple le jour où je lui ai demandé conseil à propos du déménagement de PRS, il m’a répondu : « Ca va sûrement t’énerver alors garde ton calme ». Et puis il a été une aide formidable et m’a appris beaucoup. En fait rien de ce qu’ils ont fait à l’époque chez Gibson ne l’a été par accident. Par exemple pourquoi est-ce qu’ils ont donné une table sculptée à la Les Paul ? Parce qu’ils savaient que Leo Fender ne possédait pas la machine qui lui permettrait d’en faire autant. Et tout était comme ça aussi bien chez Gibson que chez Fender. Donc, le rencontrer était fascinant, et s’est doublé d’une vraie expérience humaine.

- La Mc Carthy est assez simple et conventionnelle (2 micros, sélecteur 3 positions) par rapport aux autres PRS avec leur rotoswitch, comment est-ce venu ?

A l’origine, c’est David Grissom qui m’a demandé de lui faire une guitare. Cela faisait un moment que je connaissais Ted et il est vite devenu évident que ce que David me demandait correspondait à ce que Ted m’avait appris. Aussi quand nous l’avons terminée nous l’avons baptisée Mc Carthy en hommage à Ted et en accord avec David. On aurait pu l’appeler Grissom Model mais quand on la regarde, tout est très « Mc Carthy » : le look, le manche, le sunburst, le cordier, jusqu’au sélecteur de micros... Je me souviens quand je lui ai apportée la Mc Carthy, Ted, qui ne voit plus très bien, l’a prise et au bout de deux secondes, il a dit : "Bien !"

- Vous la déclinez en plusieurs modèles, est-ce une sorte de best seller pour vous ?

Elle représente un tiers de nos ventes custom. Moi-même je joue sur une Mc Carthy.

- Parmi les nouveautés pour cette année, j’ai vu une hybride avec capteur piezo. C’est un peu une mode en ce moment, allez-vous en faire d’autres ?

Personnellement je n’étais pas fan des piezos, parce que je n’entends en général pas une guitare acoustique mais un piezo avec son click et ses basses un peu bizarres. Donc on s’est penché sur le problème et je pense que nous sommes arrivés à le faire sonner plus comme une guitare acoustique que comme un piezo. Quant à en faire d’autres... nous essayons de satisfaire les demandes des musiciens donc nous verrons bien...

- Pour finir, connaissez-vous le travail des luthiers français ?

Bien sûr, je sais par exemple que ce pays a fait plus de strats modifiées qu’aucun autre dans le monde. Mais je ne regarde pas les guitares et les luthiers en tant que français, allemand anglais etc. Pour moi je vois des luthiers. On reconnaît quand même une guitare française, allemande ou américaine à quelques signes distinctifs, c’est le background du luthier qui ressort. J’aime les luthiers et pour moi quiconque a le courage de fabriquer un manche (c’est le plus dur), de le fretter, de l’assembler avec le bon angle, de poser un chevalet, et d’aller jusqu’au bout, ce qui n’est pas facile croyez-moi, a droit à mon respect.


 

Mots-Clefs

Type d’article
Interview
Marques
PRS
Numéro
G&C 208

 

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