Quel rôle as-tu joué dans l’élaboration de Oil City ?
J’ai juste fait les interviews qu’on voit dans le film. Quand ils m’ont suggéré l’idée, je me suis demandé : comment peut-on en faire un film ? Julian Temple a inventé la manière de faire au fur et à mesure, il te fait parler en te montrant des photos, c’est un véritable travail de détective. Je n’ai pas donné d’avis, et je n’en ai rien vu avant la projection au cinéma. Je n’aime pas me voir, donc je n’ai pas regardé le DVD qu’ils m’ont envoyé, je ne l’ai même pas ouvert. Je l’ai donc vu pour la première fois à Londres, assis à côté de mon fils et j’ai trouvé ça génial. Les passages live m’ont impressionné : c’était ma première fois que je voyais le groupe, et je donnais des coups de coudes à mon fils en lui disant : "regarde ! regarde !". C’est une image très fidèle de ce qui est arrivé.
Etait-ce dur pour toi de revoir ces images ?
Il y a quelques passages qui sont assez tristes, surtout quand je parle de la perte de ma femme. Mais quand tu le regardes en connaissant l’histoire, tu nous vois nous amuser mais tu sais bien que le groupe va se séparer et que Lee va mourir… La deuxième fois que je l’ai vu, je devais simplement faire le concert après mais une ex à moi est passée pour le voir et je l’ai donc accompagnée, en bon gentleman. J’ai pleuré comme un gosse en me souvenant à quel point on s’amusait Lee et moi. C’est un film drôle et émouvant à la fois.
Wilko Johnson par Marco Grob
Comment expliques-tu que le film s’arrête quasiment au moment où tu quittes le groupe ?
J’ai vu Julian Temple répondre à cette question, disant qu’il n’y avait une progression dramatique dans l’histoire telle qu’elle est. Le fait d’aller plus loin aurait été moins intéressant.
Et quel est ton avis sur le groupe Dr Feelgood actuel sans aucun membre fondateur ?
Au moment où j’ai quitté le groupe, je ne me suis jamais inquiété de ce qu’ils faisaient. J’ai laissé ça derrière moi, et je n’ai jamais écouté aucun de leurs albums. Si je n’en avais pas fait partie, le groupe actuel ne m’intéresserait d’aucune manière. Feelgood est devenu de plus en plus proche d’un groupe de rock conventionnel de base. Continuer après la mort de Lee Brilleaux était surréaliste. Je ne connais aucun des dix guitaristes qui s’y sont succédés…
Quelles étaient tes influences quand tu as commencé ?
Quand j’ai commencé à jouer, je ne connaissais rien à la musique, je voulais juste jouer de la guitare. A l’époque, les Rolling Stones commençaient à se faire connaître et je me suis donc intéressé à ce genre de musique, puis j’ai entendu un disque de Johnny Kidd And The Pirates avec Mick Green à la guitare : ça m’a complètement scotché ! Je voulais jouer exactement comme ça, j’ai essayé de le copier, et vu que je n’y suis pas arrivé j’en suis arrivé à mon propre jeu. Il y a beaucoup de guitaristes dont j’aime le jeu mais c’est le seul que j’aie vraiment tenté de copier.
Comment as-tu développé ton jeu de main droite très inhabituel ? (Wilko n’utilise pas de médiator et il gifle les cordes à grands coups de main)
Je suis gaucher à l’origine, et quand j’ai commencé je jouais à l’envers. Je n’étais pas très bon, et tout le monde à l’école jouait mieux que moi. J’ai alors décidé de jouer comme un droitier, ce qui est très difficile puisque ça allait à l’encontre de mes dispositions naturelles. Je n’arrivais donc pas à tenir mon médiator, et j’ai donc appris à jouer avec la main en me faisant saigner.
Tu as travaillé cette technique ou bien elle s’est développée naturellement ?
De manière générale, je joue en coups vers le bas avec mon pouce. Quand je joue en single notes, il m’arrive d’utiliser d’autres doigts. Beaucoup de ce que je fais est instinctif. Les gens me disent souvent que je joue de manière très mystérieuse et compliquée, mais pour moi ça n’est pas du tout difficile. Cela dit, la première fois que je me suis vu en vidéo je me suis demandé comment j’y arrivais. En fait je joue sans médiator comme si j’avais un médiator, ça rend mon jeu plus maladroit, le rythme est la base de tout.
As-tu déjà entendu d’autres guitaristes qui sonnent comme toi ?
Il m’arrive régulièrement que des gens me disent "écoute ce mec, il te copie", et en général je n’entends pas la ressemblance, même pour les guitaristes qui se réclament ouvertement de mon jeu. La personnalité propre de chacun prend toujours le dessus sur les petites phrases et techniques que l’on emprunte. Je peux reconnaître mon influence chez certains, mais toujours dans un contexte différent.
Comme toi avec Mick Green ?
(rires) Oui, exactement : j’ai essayé très dur de la copier sans y arriver, et on me disait régulièrement "tu ne sonnes pas du tout comme lui" !
Y a-t-il d’autres guitaristes que tu aimes ?
(hilare) Il a beaucoup de guitaristes que j’adore ! Lou Lewis est venu chez moi il n’y a pas longtemps, on s’est assis en silence pour écouter les singles de Jimi Hendrix, ce que fait ce mec est absolument miraculeux ! Personne n’a réussi à l’approcher. Je n’ai jamais essayé de jouer ce genre de choses.
Tes morceaux sont très souvent en Sol. Est-ce un choix conscient ?
Dans une large mesure, je pense que c’est lié à la tessiture de Lee (Brilleaux, le chanteur original de Feelgood). Mais ma tonalité préférée c’est la Fa, vu que c’est l’accord le plus grave que tu puisses jouer sans cordes à vide, pour gratter fort ça marche très bien, c’est lourd et gras.
Qu’est-il arrivé à ta Telecaster ? (Au concert de la Cigale, Wilko jouait sur une Strat noire à plaque rouge au lieu de la fameuse Tele noire à plaque rouge qu’il arbore depuis les débuts de Dr Feelgood)
J’ai acheté cette Strat de 62 il y a très longtemps, en 1975. A cette époque, tu pouvais trouver des petites annonces dans les magazines de musique pour des Fender pré CBS. Elle a dû me coûter 180 livres (rire). Je l’ai achetée à l’époque où on commençait à gagner un peu d’argent avec nos disques, et même si je suis un homme à Telecasters, j’ai toujours été fan des Strats, de leur look : c’est un chef d’œuvre de design et ça n’est pas un hasard si tant de constructeurs ont essayé de la copier. Je préfère les pré CBS avec la petite tête. J’ai utilisé cette guitare dans les années 80 quand je jouais avec Ian Dury and The Blockheads, et il a quelque semaine j’ai eu un léger problème d’électronique avec ma tele. J’ai donc pris ma Strat en spare, je l’ai utilisée à la balance et je l’ai trouvée excellente. Après 35 ans, j’ai enfin progressé au point d’utiliser une autre guitare ! (rires)
Tu as changé la plaque toi-même ?
Oui, oui ! Je suis allé dans mon garage, avec de la peinture en aérosol. J’ai peint le corps en noir mat, et la plaque de protection a demandé plus de travail : il a fallu faire plusieurs couches pour que le blanc n’apparaisse pas par dessous. (ndr : je vous rappelle qu’on parle d’une Strat de 62, qui vaudrait environ dans les 10 000 euros sans peinture en aérosol !!). Elle est magnifique.
Et tes amplis ?
Récemment, j’ai commencé à utiliser un Cornell Custom 40. Le mec qui les fabrique vit à côté de chez moi. On faisait un concert à Bristol, et le guitariste de la première partie m’a demandé ce que je pensais de son ampli Cornell : je l’ai essayé, je l’ai trouvé excellent et je lui ai emprunté pour le concert ! Le lendemain je suis allé chez lui pour passer commande. C’est un 40 watts mais c’est l’ampli le plus fort que j’aie jamais eu. Il a un haut parleur, des lampes russes ou un truc dans le genre… En fait il m’expliquait tous ces trucs techniques et j’approuvais en souriant mais je n’y connais rien ! Il n’y a pas de circuits imprimés dans ses amplis je crois que ça conserve les aigus. En tout cas il sonne bien plus comme un vieux Fender que les Fender actuels.
Tu utilisais des Fender auparavant, non ?
Avant ça oui j’utilisais une forme ou une autre de Twin, mais je n’ai pas eu de chance avec ces modèles : à la fin d’un show avec les Hamsters, le chanteur présentait tout le monde. Il me présente : "à la guitare, Wilko Johnson !", alors je m’avance, fier et très modeste, à faire signe aux gens, et d’un coup mon ampli ne fait plus aucun son ! J’avais l’air malin J’utilise donc des Cornell désormais. (rires)
Qu’est-ce qui te donne envie de continuer à tourner dans le monde entier ?
En grande partie pour m’occuper : je ne me suis pas remis de la mort de ma femme il y a six ans. Je pense à elle tout le temps, et ça me rend triste. Je me sens mieux quand je suis sur scène, je pense toujours à elle mais je ne suis pas si malheureux quand je dois me concentrer sur le concert. D’autre part, j’adore le jeu de Norman Watt-Roy (ancien Blockhead et actuel bassiste du Wilko Johnson Band) : dès que je monte sur scène avec lui, je m’éclate.