Le grain, cela désigne à la fois la texture, l’épaisseur, la trame de votre son, sa granularité, un peu comme le grain d’une feuille de papier ou le grain d’une photo, ainsi que, par extension la faculté qu’on a de modifier le son rien qu’en nuançant. La puissance est une notion plus immédiatement compréhensible parce qu’on la prend en pleine face. Ces deux aspects s’opposent mais se combinent, l’un influençant l’autre en permanence ; il ne sert donc à rien de les opposer frontalement comme deux partis politiques. Tout le jeu va au contraire consister à trouver le point d’équilibre qui vous convient entre les deux tendances.
Si vous avez déjà tenté diverses combinaisons drive/master sur votre ampli, qu’il soit à lampes ou à transistors, vous avez déjà expérimenté, les rapports entre grain et puissance. Vos voisins apprécient par exemple que vous favorisiez le grain en poussant le drive et en réduisant le master. Si vous faites le contraire, vous favorisez la puissance par rapport au grain (et accessoirement vous vous faites lourder de votre appart’). En considérant cet exemple, vous mesurez certainement l’éventail des possibilités intermédiaires qui s’offrent à vous rien qu’à ce niveau de la chaîne du son, puisque rien qu’en positionnant drive et master sur leurs graduations, vous obtenez 100 combinaisons possibles (pas toutes musicales c’est vrai) ; sans compter que chacun peut se positionner entre les graduations. Essayez maintenant d’étendre cette vision à tous les maillons. Vous avez le vertige ? Tant mieux, c’est toute la richesse du sujet...
Enfin, ne vous précipitez pas, dès la fin de ces deux pages, sur votre tournevis et votre fer à souder ; n’oubliez jamais de considérer la chaîne du son comme un ensemble dont chaque élément a une influence sur les autres : vous pourrez toujours essayer d’envoyer un signal énorme dans un 10W vous n’aurez pas le son d’un stack. Et si vous avez un doute au moment de changer des lampes etc., considérez qu’il vaut mieux consulter un spécialiste avant qu’après... une catastrophe.
Micros
Commençons par évacuer un lieu commun, mais justifié : quand on joue fort, un humbucker sonnera plus gros qu’un simple. En revanche celui-ci sera supérieur, tant pour la définition que pour le claquant, en son clair ou à petit niveau. Le juste milieu, le micro le plus tout terrain étant à mon sens le P90.
Cela dit, pour un même type de micro on pourra choisir de favoriser le grain ou la puissance, et c’est la raison pour laquelle un même micro est souvent décliné en version normale, hot (niveau de sortie plus fort) et vintage (niveau de sortie moins élevé). En gros, on admet que des micros à faible niveau de sortie laissent plus de latitude pour travailler le son en finesse. Ils sont moins esbroufants au premier abord que des micros plus puissants, mais permettront des variations plus subtiles. C’est le cas par exemple des True Bucker Van Zandt. A l’inverse, les micros à fort niveau de sortie, comme l’Invader Seymour Duncan, impressionnent d’emblée : attaquant l’ampli avec plus de force, ils lui imposent leur personnalité. Avantage, il est plus facile de retrouver le son qu’on aime sur n’importe quel ampli, inconvénient, on ne dispose pas d’une énorme marge de manoeuvre et mieux vaut être fan du son de son micro.
Cela étant, les micros restent les pièces les plus malcommodes à essayer, puisqu’il est difficile, à moins de bien connaître son luthier ou son revendeur, de se faire monter un micro et d’aller le rendre une semaine après. Il faut donc aussi compter un peu sur la chance à ce niveau.
Lampes
De même on peut, sur un ampli à lampes, privilégier l’un ou l’autre des deux aspects, et ce à tous les étages : préampli, puissance et HP. Préamp : beaucoup d’amplis intègrent des 12AX7 dans cette section. Or cette lampe existe en version moins puissante, elle s’appelle alors ECC83 et en version plus puissante, la 7025, du moins chez les marques de tubes bien référencées. La première lampe de préamp dont nous avons vu le mois dernier qu’elle est la première à recevoir votre signal et à le traiter a une importance primordiale. Sur un ampli puissant vous pourrez vous permettre de placer à cet endroit une ECC83 et vous favoriserez alors le grain. Sur un ampli un poil anémique, tentez une 12AX7 voire une 7025 et vous risquez de regagner en puissance. Attention de ne pas perdre le contrôle. De plus, on sait par exemple que des 12AX7 chinoises sont plus agressives que des Sovtek, elles-mêmes un peu plus puissantes et aiguës que des Sylvania, les Mullard (si vous en trouvez) étant parmi les plus douces. Multipliez le nombre d’options par le nombre de lampes de préamp présentes dans votre ampli et vous avez de nouveau une idée de l’étendue des possibilités qui s’offrent à vous.
Pour l’ampli de puissance c’est pareil : suivant le type et la provenance des lampes employées, votre son est métamorphosé. S’ajoute comme nous l’avons vu le mois dernier l’appairage et... le grade. Pour un même modèle de lampe, certaines seront plus ou moins dures, aiguës et agressives. Chez Groove Tubes par exemple, les grades sont une parfaite illustration des rapports grain/puissance ; d’abord pour un même type de lampe vous avez deux séries S (soft) et H (hard). Ces séries sont déterminées de manière fluctuante suivant la provenance et les composants des lampes. Ensuite, dans chaque série, cohabitent dix graduations. De 1 à 3 les lampes saturent très vite et d’une certaine manière privilégient le grain, de 4 à 7 elles constituent une bonne balance entre grain et puissance, entre 8 et 10 et à condition que votre alim soit d’excellente qualité, elle vous garantissent un son clair très puissant. Dans la pratique je vous conseille de chercher entre 3 et 6. Voilà donc encore de quoi s’amuser, de préférence avec les conseils d’un expert. Raisonnablement votre ampli devrait bien sonner avec trois ou quatre grades différents, qui donneront plus ou moins de dureté, de punch, d’attaque à votre son, favoriseront plus ou moins les harmoniques, satureront plus ou moins vite et donneront plus ou moins de puissance apparente. Le choix sera affaire de goût et fonction de l’utilisation que vous allez faire de votre ampli. D’autres éléments moins accessibles pour nous entrent en ligne de compte comme l’alimentation électrique de l’ampli dont les caractéristiques et les performances influent notamment sur la puissance de l’appareil, ou bien encore les capacités, mais là point de salut sans la présence d’un spécialiste à vos côtés.
HP
Encore un élément dont les caractéristiques physiques sont extrêmement variables. Peut-être avez-vous déjà noté l’énorme différence de rendu qui existe entre un Celestion et un Electro-Voice. Le premier donne généralement un grain flatteur, tandis que le second privilégie la projection, magnifiant les attaques, à tel point que Mesa Boogie a fabriqué des 2x12 couplant un Celestion et un Electro-Voice. Mais dire, comme on l’entend parfois, que les Celestion c’est bien pour le son saturé et les Electro-Voice pour les sons clairs, n’a guère de sens. N’oublions pas tous les autres éléments de la chaîne. En plus de tout cela, un GA15 et un Vintage 30, tous deux Celestion, placés dans le même ampli donneront des résultats tout à fait différents, le premier favorisant le grain le second donnant des attaques claires et distinctes même en son saturé. Enfin, si vous avez lu les chroniques de Paul Rivera sur les baffles, vous savez que là encore tout peut jouer : bois, câblage, impédance. On sature très bien sur un Carvin XV112 E (Electro-Voice) et on peut obtenir de très beaux sons clairs avec un Vintage 30. Par conséquent, n’accordez pas au HP plus d’importance qu’il n’en a (j’ai bien dit HP, pas baffle).
Judge m’a perplexifier
Bon, maintenant vous me haïssez car vous vous posez beaucoup trop de questions dont vous faisiez auparavant l’économie, sans que je vous aie fourni de réponse toute faite. C’est qu’en la matière, il n’y en a pas : chaque guitare, chaque ampli et à plus forte raison chaque guitariste, avec ses goûts, ses références, ses habitudes et ses doigts représente un cas particulier. Donnez-vous un peu de mal, lisez, essayez, cherchez et vous bâtirez une expérience de votre son qui ne devra rien à personne et vous amènera forcément à être original, le but étant de bien sonner pas de sonner comme quelqu’un d’autre !